Paroles de femmes, colère et famille

Au moment d’écrire ces lettres, je lis Libérer la colère (au moment où vous les lisez, je suis probablement à lire Libérer la culotte — je ne sais pas comment j’ai pu manquer la publication de ces collectifs, mais il était temps d’y remédier: ils sont fantastiques). J’ai choisi de lire plus de femmes il y a quelques années, embarquant à fond dans ce que j’avais lu me disant que j’avais probablement déjà assez lu d’hommes pour toute une vie (vous aussi, en passant… ne serait-ce qu’avec les lectures scolaires obligatoires, fortement masculines…). Je lis encore des hommes, mais je ne regrette jamais de lire plus de voix au féminin. Elles me parlent. Quand Lisa Leblanc chante Why does it feel so lonely (when you are around), j’ai l’impression qu’elle lit dans mon ex-relation.

Il m’a fallu lire Libérer la colère pour comprendre, avec trois décennies de retard, pourquoi j’ai tiré une croix sur toute ma famille paternelle (tantes, grand-mère, cousins, cousines, oncles par alliance, tout le monde) une fois les liens avec la personne qui a été mon père rompus (volontairement, par moi, [à boutte] à 16 ans devant ses menaces et son chantage devenus inutiles, mais qui m’atteignaient encore).

C’est que tous les membres de cette famille-là, de sa famille, tous, ont toujours nié mes traumatismes et protégé mon père. Mon père alcoolique (ben non voyons donc! Ha, facile de dire «ben non» quand on ne lui parlait qu’avant 15h, avant l’effet de la douzième bière; drôle parce que dès qu’il m’appelait, moi, je savais jeauger son état d’ébritété, et je devanis aussi froide que nécessaire, aussi reculée derrières des murs que j’érigeais à mesure), intimidateur (de femmes parce que se croyant impuissant à les contrôler et cherchant partout à affirmer un quelconque pouvoir) et violent (surtout sur le plan psychologique, mais assez intensément, merci, envers ma mère et moi, au quotidien; et il y avait une violence sexuelle aussi, restée au niveau verbal avec moi).

Les membres de ma famille paternelle ont, comme par réflexe, pris son bord. Systématiquement, peu importe ce que j’exprimais comme enfant (par des saignements de nez, par des réactions violentes, puis par des mots assez éloquents et précis). Mon père était vraiment sympathique… si on ne vivait pas avec lui ET qu’on choisissait de fermer les yeux (quand sa sœur lui avait organisé une suprise pour son anniversaire, il a pété une méchante coche et a refusé de participer. Il y a eu tant de coches pétées devant la famille qui faisait comme si de rien n’était…). Des yeux volontairement fermés, il y en a eu. Et ces yeux-là, en se fermant sur l’agresseur, jettent tout le blâme sur la victime, qu’ils le veuillent ou non, alors que la victime, par définition, se sent déjà coupable… d’exister, à force de s’être fait dire qu’elle ne valait pas grand-chose. Et iels* ont agi ainsi… qu’iels aient ou non de beaux diplômes (en… psychologie! Ça ne s’invente pas!).

J’ai choisi de ne pas pardonner l’impardonnable venant de mon père, qui n’avait ni regret ni excuse pour moi (ni conscience de ce qu’il avait fait subir à sa famille nucléaire, je crois bien). Je vis bien avec ça. Et maintenant que je comprends mieux mes motivations, je suis tout aussi à l’aise avec mon exclusion de ma vie de ma famille paternelle. Même que rebrasser tout cela m’aide à comprendre pourquoi l’injustice me touche autant, pourquoi j’ai su défendre mon Grand Coco quand il était petit et qu’il vivait de l’intimidation. Comme le nom de famille que je porte et sa lignée: ça s’arrête ici. Avec moi.


*iels, pour «elles et ils» sans oublier tous les possibles entre ces deux-là et tout autour. C’est un pronom neutre, inclusif, que je vois de plus en plus, et que j’adopte spontanément. Il fonctionne et est utile. (Les usages avec le point médian comme «un·e merveilleux·se coiffeur·euse», ça se lit mal [et pour moi un texte doit être lisible!] et je ne crois pas que ça soit la bonne solution pour l’écriture non genrée, mais collectivement et avec l’usage, on finira par trouver de bonnes solutions!)

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