Accident, chance et injustice ordinaire

Le 7 février, ma puce avait un examen de la vue, et nous avons fait des courses avant de revenir à la maison. Mise en contexte: nous vivons sur une route provinciale, avec une limite de vitesse de 90 km/h. Notre entrée est dans une courbe assez serrée, un virage quasi aveugle, donc orné d’une belle ligne double jaune, solide. Le genre de bout de route où tout dépassement est interdit… en tout temps. Et pour le contexte, je conduisais ma fidèle Yaris, une 2007 avec à peine 90 000 km au compteur, ayant eu une seule autre propriétaire: ma mère.

J’approchais de la maison, mais depuis le village, je voyais arriver très (trop) rapidement une camionnette derrière moi. J’ai donc clignoté longtemps d’avance, en ralentissant clairement à l’approche de mon entrée. Et vu que je dois tourner à gauche dans mon entrée, je vérifiais bien qu’aucun véhicule ne venait en contre-sens, dans le petit bout de courbe visible depuis mon entrée.

J’ai tourné. Et reçu un Dodge Ram 2020 rouge dans mes deux portières côté conducteur. POW. Le conducteur de 23 ans avait jugé bon… de me dépasser dans une courbe, illégalement, pendant que j’indiquais clairement que j’allais tourner (trente secondes plus tard, il allait me dire qu’il… avait cru que j’allais tourner à droite. Comme si ça justifiait une conduite dangeureuse ou qu’il fallait m’expliquer comment fonctionne un clignotant). Les enfants se sont mis à pleurer (plus tard j’ai dû leur répéter plusieurs fois que le but d’une coquille solide autour d’êtres mous, c’est justement de protéger les êtres mous et fragiles que nous sommes, et que ma Yaris avait donc joué son rôle à merveille).

C’est juste de la tôle. Tout près de l’endroit le plus renfoncé, il y avait la tête de mon fils d’à peine sept ans.
Il n’en aurait pas fallu beaucoup plus pour que la vitre éclate.

Je vous épargne les détails de la suite (le fait que le jeune homme n’avait ni son permis de conduire ni l’immatriculation du véhicule sur lui). Nous avons été très chanceux: jamais je n’avais frôlé la mort de si près, et les enfants, encore moins. Quand je ferme les yeux, je vois maintenant moins souvent arriver un pick-up rouge sur ma gauche. Mon mal de dos, à me réveiller la nuit, a duré quatre ou cinq jours, pas plus. J’ai vu un accident au village cette semaine, et ça m’a secouée beaucoup plus que de coutume. Je ne fais confiance à personne sur les routes, ce qui n’est pas plus mal.

J’ai une voiture de courtoisie (j’habite à 4 km du dépanneur le plus proche; 25 km de l’épicerie; 45 km de l’entreprise de location, alors encore heureuse d’avoir mon beau-fils pour me reconduire!). Et j’attends que l’assurance m’appelle pour déclarer ma Yaris perte totale (je vais tenter de me battre, mais bon…). Mon agresseur (appelons les choses par leur nom), lui, a sans doute déjà pu faire réparer son arme de destruction massive. Un 2020, vous pensez, ça vaut six fois mon auto (l’assurance va le faire réparer pour que jeune homme puisse continuer de terroriser la planête, et vite). Mon auto qui ne consommait presque rien en essence et ne me coûtait rien. Nous avons eu de la chance, beaucoup, le jour de l’incident. Le jeune homme aussi, au fond, parce que j’aurais pu appeler la police et qu’en allant juste un peu plus vite, il aurait tué une famille. Mais le résultat de tout ça, c’est que c’est moi qui vais payer. (Et ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, sans aucune faute de ma part…)

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2 réponses à Accident, chance et injustice ordinaire

  1. Seb dit :

    Clairement, notre amour collectif pour la vitesse mène à des dérapage… et des accidents. Effectivement, une limite de 90 c’est souvent trop rapide afin de permettre réellement aux conducteurs de réagir adéquatement et sécuritairement en cas de problème.

    • Campagnarde dit :

      Ce n’est pas comme si j’avais traversé la route sans avertissement; mon clignotant lui indiquait bien ce qu’il avait à faire. J’aurais plutôt tendance à dire que nos véhicules sont trop gros et trop lourds — pour rien. Pour un fermier qui a besoin de sa camionnette puissante, il doit bien y avoir cinq mille propriétaires qui se trouvent ben bons pis ben beaux dans leur gros pickup qui sert uniquement à déplacer le bonhomme. Ça leur donne un beau sentiment de puissance et d’invulnérabilité. Entre les mains d’un jeune homme (ou de n’importe qui de distrait, de saoul, etc.), ça peut virer au désastre rapidement.

      De toute façon, qui respecte ça, les limites de vitesse? Je veux dire à part moi (et je me fais coller pas mal tout le temps…)?