Réflexions d’époque (ou pas)

Ben oui, encore déphasée, l’Helene. Vous vous remettez de vos réveillons et moi je lis et je fais de drôle de liens (bienvenue en 2017, année qui risque de me voir déphaser activement, pas mal plus loin encore… cela venant de la femme qui publie ses trucs en fin d’après-midi le vendredi et les jours fériés, comme une incompétente du marketing en ligne… ou comme une personne qui a décidé de faire à sa tête, c’est selon). Je ne suis pas en train de virer su’l’top, faites-vous-en pas. Je suis à la veille de dresser mon inventaire annuel de semences, mon espace à semis est proche de se faire organiser (avoir deux enfants, c’est préparer les préparatifs en vue de pouvoir un jour organiser le début de la planification d’une action, si vous voyez ce que je veux dire…), le potager 9.0 se dessine petit à petit dans ma tête (c’est plus facile de bouger des racines imaginaires) et je jongle à de grands projets potentiels. Or justement, ces projets… je me vois mal les mener de front avec toutes les distractions de l’univers social en ligne, de la vie qu’on veut nous faire croire être/qui est devenue nouvellement normale (lire: ceci poursuit un bout du billet précédent, le bout touchant mon recul devant le géant culturel, commercial et idéologique qu’est Facebook — c’est une réflexion qui n’aura pas nécessairement de fil d’arrivée).

Alors voici un bout de ce qui occupe mon cerveau aujourd’hui (le gras est de moi):

[…] il est toujours prescrit au mystique en herbe de s’abstenir de s’occuper de choses qui sont sans rapport avec son but ultime, ou au sujet desquelles il ne peut pas accomplir efficacement un bien immédiat et concret. Ce commandement d’abnégation s’applique à la plupart des choses dont, en dehors des heures de travail, la personne ordinaire se préoccupe principalement – aux nouvelles, à la dose quotidienne des diverses épopées servies par la radio, aux voitures et aux accessoires de l’année, aux dernières modes. Mais c’est sur les modes, les voitures et les accessoires, sur les nouvelles et la publicité par laquelle existent les nouvelles, que compte, pour fonctionner convenablement, notre système industriel et économique. Car, comme l’a signalé naguère l’ex-président Hoover, ce système ne peut fonctionner à moins que la demande des choses non nécessaires soit non seulement maintenue, mais continuellement accrue ; et , bien entendu, elle ne peut être maintenue et accrue que par des appels incessant à la cupidité, à l’esprit de concurrence, à l’amour de la stimulation sans but. Les hommes ont toujours été la proie des distractions, qui sont le péché originel de l’esprit ; mais jamais, jusqu’à notre époque, on n’a tenté d’organiser et d’exploiter les distractions, d’en faire, à cause de leur importance économique, le noyau et le centre vital de la vie humaine, de les idéaliser comme étant les manifestations les plus hautes de l’activité mentale. Notre époque est celle des incohérence systématisées, et l’imbécile que nous avons en nous est devenu l’un des Titans, sur les épaules de qui repose le poids su système social et économique. Le recueillement, ou domination des distractions, n’a jamais été plus nécessaire qu’à présent, jamais, non plus, on peut s’en douter, il n’a été aussi difficile.*

Ça, mes amis, ce texte qui parle pratiquement du iPhone et, avant cela, de toutes les tendances qui ont vu le jour depuis 50 ans… eh bien… Ce texte a été écrit par Aldous Huxley et avait déjà été publié en 1941. Mille neuf cent quarante et un! Faites de ça ce que vous voulez. Pour moi c’est un coup de poing au ventre, qui me coupe le souffle. La stimulation sans but. La cupidité. La distraction comme noyau. L’activité mentale… réduite, sciemment. Distraite, écartée et écartelée.

Et ça rejoint un texte beaucoup plus récent, en anglais (Drifting). Que je vais citer en anglais (traduction libre et vite faite suivant chaque petit extrait) et que je vous encourage à lire si vous comprenez l’anglais:

[…] honestly, are we busy because of our lives or because of our tools? (Honnêtement, sommes-nous occupés à cause de nos vies, ou à cause de nos outils?)

Today, it’s really hard to accept the fact that the machine should decide what’s important for me. Because as good as the algorithms are, they are black boxes with very little control over them. (Aujourd’hui, il m’est très difficile d’accepter qu’une machine puisse décider ce qui a de l’importance pour moi. Parce qu’aussi bons que puissent être les algorithmes, ils constituent des boîtes noires sur lesquelles nous avons très peu de contrôle.)

We can’t be in a place without the urge of telling our friends what we do. The idea of impressing others comes before our own satisfaction of the present moment. (Nous sommes incapables d’être quelque part sans sentir l’envie de dire à nos amis ce que nous sommes en train de faire. L’idée d’impressionner les autres vient avant notre propre satisfaction dans l’instant présent.)

Seriously, do we need to sell to the same people every year a slightly updated new phone with marginally better software? (Sérieusement, avons-nous besoin de vendre aux mêmes gens, chaque année, un nouveau téléphone légèrement mis à jour avec des logiciels à peine améliorés?)


Voilà. Je n’ai pas de paragraphe-essai à installer ici en guise de conclusion, car je n’ai pas la clé de l’énigme. Je suis à un point «A» quelque part dans une trajectoire de cheminement. Où ça me mènera importe peu: l’essentiel repose dans le processus.

 


*Texte anglais original, comme me l’a lu mon Homme: the would-be mystic is always told to refrain from busying himself with matters which do not refer to his ultimate goal, or in relation to which he cannot effectively do immediate and concrete good. This self-denying ordinance covers most of the things with which, outside business hours, the ordinary person is mainly concerned–news, the day’s installment of the various radio epics, this year’s car models and gadgets, the latest fashions. But it is upon fashion, cars, and gadgets, upon news and the advertising for which news exists, that our present industrial and economic system depends for its proper functioning. For, as ex-President Hoover pointed out not long ago, this system cannot work unless the demand for non-necessaries is not merely kept up, but continually expanded; and of course it cannot be kept up and expanded except by incessant appeals to greed, competitiveness, and love of aimless stimulation. Men have always been prey to distractions, which are the original sin of the mind; but never before today has an attempt been made to organize and exploit distractions, to make of them, because of their economic importance, the core and vital center of human life, to idealize them as the highest manifestations of mental activity. Ours is an age of systematized irrelevancies, and the imbecile within us has become one of the Titans, upon whose shoulders rests the weight of the social and economic system. Recollectedness, or the overcoming of distractions, has never been more necessary than now; it has also, we may guess, never been more difficult.

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4 réponses à Réflexions d’époque (ou pas)

  1. Bruno dit :

    Helene, pour poursuivre cette réflexion entamée dans tes deux derniers billets, je te conseille vivement de regarder le film « Lo and Behold, Reveries of the Connected World » de Werner Herzog. C’était ma « distraction » du 1er janvier, et si c’est effectivement « distrayant », c’est tout aussi « effrayant » ! J’avais lu ton billet précédent peu avant et je n’arrêtais de faire des liens circonstanciés avec tes remarques pendant le visionnement.

    • Campagnarde dit :

      Quand une recommendation vient de toi, Bruno, je m’efforce de la suivre, même si j’y mets le temps! 🙂
      Mais je vois que je peux visionner le film en ligne et/ou l’acheter (ma bande passante permettra l’achat, du moins!): tant mieux!
      http://www.loandbehold-film.com/watch-at-home

      Quel bonheur d’ailleurs de te (sa)voir ici!

      Mes réflexions ne sont peut-être pas super youpelaïlaïyo (n’est-ce pas) ces jours-ci, mais elles me font du bien. Même si je suis en sevrage, j’ai ce genre de «high» qui vient de la prise d’une décision un peu folle, mais vraiment bonne. Résultat, j’ai sept billets en cours de rédaction! Une oasis dans mon désert!

      • Bruno dit :

        Tes réflexions ne sont peut-être pas youpelaïlaïyo, mais elles sont légitimes et elles vont certainement aller en s’affinant. Si ce texte d’Aldous Huxley date effectivement d’il y a près de 75 ans, c’est que la société de consommation était déjà en place depuis les années 1920 (on pense souvent – à tort – qu’elle a débuté avec la reconstruction after WWII, but…). Avec le New Deal de Roosevelt (je cite Thomas Melchers / Roosevelt : Du New Deal à la Conférence de Yalta) : « […] entre 1923 et 1929, si les profits des entreprises ont grimpé de 62 %, les salaires des ouvriers, eux, n’ont augmenté que de 26 %. […] Malgré ces écarts, la société devient de plus en plus consommatrice, alors que la publicité se répand peu à peu, tant sur les pages des journaux qu’à travers les ondes des stations de radio. » Sûrement la base de la réflexion d’Huxley. Ce qui est plus effrayant, c’est que ce développement économique de l’entre deux guerres, et la consommation de masse qui s’ensuit, s’accompagnent d’un retour aux valeurs conservatrices.* Et c’est aussi ce qu’on observe de nos jours malgré « l’ouverture d’esprit » supposée que devrait nous accorder l’Internet (et ses conspirations), Facebook (et ses « fake news ») et les tweets (et leurs jugements à l’emporte-pièce) !

        Les baby-boomers ont laissé tomber leurs valeurs pour se jeter à corps perdu dans le confort immédiat et les achats à tous crins… Et si on ose toucher à leur fameux « pouvoir d’achat », il leur faut trouver des brebis galeuses… Ça me rappelle une phrase d’un article du Devoir (de 2002) qui est restée gravée dans ma mémoire : « Le confort, le sacro-saint confort, dans lequel se complaît la majorité des familles qui possèdent tout ce dont elles ont besoin et qui se permettent d’aller tout de même chez Wal-Mart pour économiser sur ce dont elles n’ont pas besoin. » L’article complet ici : http://www.ledevoir.com/non-classe/6844/l-insoutenable-indifference-des-winnebago

        Au final, youpelaïlaïyo indeed !

        (* Ah, prof d’histoire, c’était mon rêve caché…).

        • Campagnarde dit :

          Pour la plainte de l’auteure de ton lien… Je vais faire ma plate et dire que les véhicules récréatifs ne peuvent pas nécessairement prendre un pouceux: ça a beau être gros, si Roger et Germaine ont choisi un modèle à deux sièges et deux ceintures de sécurité… y ont même pas le droit de prendre le pouceux: y peuvent pas le transporter légalement (oui j’ai vérifié et si on n’a pas le droit de s’amuser pendant que Roger conduit je ne vois vraiment pas le but de ces maisons roulantes)!

          Ces monstres roulants me font très peur, remarque, d’autant plus que ce sont généralement des conducteurs — souvent des personnes âgées — non habitués à ces mastodontes qui prennent le volant. Et c’est assez incompréhensible, pour moi, de voir rouler ces choses qui valent plus que ma maison et son terrain. Mais y a tant d’autres comportements humains que je ne comprendrai jamais, tant!

          La phrase gravée dans ta mémoire est la meilleure du texte, je trouve. Le refus du confort non nécessaire (le surconfort, en quelque sorte), c’est comme l’effort: pas évident de faire comprendre le bien-fondé à celui qui ne le voit pas et ne veut pas le voir. (Heille j’ai pas de réception télé ici: que ferais-je dans un VR? J’ai jamais même utilisé un appareil électronique pour me divertir en camping, et en voyage à peine! (mon reflex, ça ne peut pas compter!))

          Intéressant que tu parles du New Deal: dans le même ouvrage (que lisait mon Homme, d’ailleurs, et pas moi, sauf qu’on en discute beaucoup), Huxley affirme que le système d’éducation a été de plus en plus bousillé… depuis les années 1920, justement. J’imagine que c’est la première étape pour obtenir génération après génération de bons petits (plus tard obèses) consommateurs.

          J’aurais bien aimé t’avoir comme prof d’histoire! (J’en ai eu de bons, mais quand même…!) Retour aux valeurs conservatrices… ouf… je vois pas de quoi tu parles! Index dans les oreilles, je chante à tue-tête MIAOW MIAOW MIAOW MIAOW MIAOW JE SAIS PAS DE QUOI TU PARLES MIAOW MIAOW MIAOW! 🙂

          T’as vu la citation de Foucault à droite/dans les billets éclair? https://www.campagnonades.com/microposts/citation/