Quelque chose hier

160325 192Il nous est arrivé quelque chose hier*. Je ne sais pas trop comment appeler ça, mais le mot agression me vient en tête parce que je me suis sentie agressée. Peut-être que harcèlement est un mot plus approprié? (Sauf que pour moi le harcèlement s’étale dans le temps… je me trompe?) Pour commencer par le commencement, disons que ma fille est jolie. Menue. Châtaine aux cheveux longs. Mignonne. Et timide (parfois moins, quand elle le décide; or moi j’ai été timide aussi, et je lui donne entièrement le droit de l’être, tout en lui disant qu’à tout moment et en toute circonstance elle peut faire le choix de ne pas l’être – et elle fait ce choix parfois, même avec des gens avec qui elle est généralement gênée).

À la clinique pour une visite de routine pour le bébé, j’attendais en file pour voir la réceptionniste (je n’avais pas le choix d’être là: je devais signer un papier et l’infirmière nous avait déjà vus et nous attendait dans son bureau une fois le papier signé), la main de ma fille dans la mienne. Une main est apparue avant un corps — une main désincarnée! — dans le cadre de porte, et la main s’en allait directement vers la tête de ma fille (on a entendu des paroles du genre c’t’une belle tite fille ça), et ma fille s’est tassée. Un homme assez âgé, inconnu de nous, est apparu dans ce cadre de porte et sa main a fait une autre tentative pour toucher la tête de ma fille. Qui s’est tassée, baissée, m’a serré la main plus fort et s’est collée à moi. Il était évident qu’elle voulait éviter ce contact. Je répète parce que c’est important: il était évident qu’elle voulait éviter ce contact. Alors j’ai dit à l’homme quelque chose comme merci de ne pas toucher ma fille.

Jusque-là ça va. Sauf que vous savez quoi? Toucher un enfant sans son consentement (en l’absence de situation d’urgence, etc.), c’est une agression. (Quand ça lui arrive, ma fille m’en reparle des heures et des jours plus tard; elle ne comprend pas pourquoi, comme moi non plus je ne comprends pas pourquoi les gens pensent qu’ils peuvent la toucher, comme ils pensent à tort pouvoir toucher un bedon de grossesse ou un adulte de petite taille.) La seule bonne réponse à ce moment-là aurait été de s’excuser. Or ce n’est pas ce qui s’est produit. L’homme m’a demandé pourquoi je ne voulais pas qu’il touche ma fille (aucune mention du fait qu’ELLE ne voulait pas). J’ai répondu que l’intégrité physique, ça commence dès la naissance. Il en a compris qu’elle avait une maladie contagieuse (ben oui, l’intégrité physique, cette tare génétique!), en me demandant (comme si ça le regardait, le cas échéant) quoi, qu’est-ce qu’elle a? (En y repensant, LUI, qu’avait-il pour aller voir un médecin en touchant n’importe qui?)

J’ai répété que je voulais simplement qu’il ne la touche pas. Encore une fois des excuses ici auraient été appropriées. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Non. Le bonhomme s’est mis, à voix plutôt basse (la salle d’attente étant pleine de monde), à maugréer contre moi. Je l’ai pas touchée non plus! Qu’écé qu’y te prend? J’ai jamais vu ça, une femme comme toé, pis j’ai 80 ans, qu’est-cé que tu manges pour être bête de même?, etc. Je ne me souviens pas de tout, mais ça ne cessait pas, pendant de longues minutes (devant mon air bête le plus bête, qui ne l’intimidait pas, le vieux démon). Assez pour que je dise, pas mal plus fort, AVEZ-VOUS UN PROBLÈME, MONSIEUR? (On note que moi je vouvoie et pas lui, mais bon, rendus là dans l’impolitesse…) Mais il n’a pas cessé. À ce moment-là, ma fille se cachait derrière moi. Et mon Homme, le bébé dans les bras, est arrivé. Il avait suivi la scène sans entendre ce qui se passait, mais en voyant ma communication non verbale de plus en plus claire. Il s’est tenu devant le bonhomme. Qui a voulu toucher le bébé (non mais!). Mon Homme ne l’a pas laissé faire et il l’a regardé droit dans les yeux sans dire un mot. Le bonhomme est parti. Parti! Il a suffi d’un homme debout devant lui pour qu’il cesse de harceler deux femmes! En public. Deux femmes qui ne voulaient pas se faire toucher ni parler, mais qui restaient polies. Et apparemment qu’en 80 ans personne ne l’avait encore remis à sa place.

J’ai voulu en parler ici parce qu’on a peut-être tous déjà fait ça, toucher un enfant sans y penser et sans mauvaise intention. Et… ce n’est pas acceptable si l’enfant n’a pas accepté ce contact. Point à la ligne. Un enfant a le droit de ne pas se faire toucher. Au moins autant que vous et moi, que ce soit matante Gilberte qui veut un bec ou un inconnu qui veut tapoter de doux cheveux. Le droit au respect, ça ne pousse pas à l’âge adulte. Oh oui, on en a discuté, ma fille et moi, plus tard. Et on en reparlera. (J’aimerais l’aider à trouver en elle la force de hurler très fort TOUCHE-MOI PAS, J’TE CONNAIS PAS! Parce que pour le moment, elle se tasse, se fige, entre dans une carapace invisible où les inconnus ont envie de pénétrer encore plus loin [pour qui ils se prennent, je ne sais pas!].) Et oui, j’aurais réagi de la même manière si ça s’était passé avec mon fils (de toute façon, il porte plein de rose et il aura les cheveux longs: on risque de le prendre pour une fille [ce à quoi je réponds PIS?]).

J’ai voulu en parler parce qu’on entend parler de culture du viol et que c’est un (petit et bénin, me direz-vous) aspect de ça qui était à l’oeuvre ici. Une scène toute simple, bête et banale, dans une salle d’attente. Juste un exemple de trucs que toutes les femmes ont déjà vécu (on peut appeler ça culture de l’agression ou autre chose, mais faudrait réussir à me convaincre qu’un père aurait vécu la même scène avec le bonhomme…). Un homme qui se croit tout permis, en gestes et en paroles. Un homme qui n’admet pas qu’une femme refuse son contact et qui, au lieu de reculer devant un refus, attaque: c’est elle, le problème, pas lui. C’est une attitude d’agresseur. Et ce n’est pas acceptable. Il est hors de question que ma fille ait l’impression qu’elle a mal agi en refusant un contact physique non voulu. Je n’ai pas eu peur (moi; ma fille, c’est autre chose!), mais c’est parce que l’homme avait, justement, 80 ans. Au besoin j’aurais pu me défendre contre lui. Défendre ma fille. Mais ça ne change pas qu’il a mal agi. Qu’il s’est senti entièrement à l’aise d’attaquer verbalement, en public, une inconnue, parce qu’elle était femme et refusait ses gestes non appropriés. Qu’elle refusait qu’il tripatouille son enfant! Que c’est la société dans laquelle on vit, ou du moins dans laquelle lui, il croit vivre (et bien d’autres avec lui, pas juste Bill Cosby…). Jamais aucun autre parent ne l’a jamais empêché de toucher ses enfants? S’il dit vrai, il y a peut-être lieu d’en parler, entre parents: les enfants, filles et garçons, doivent savoir que leur corps leur appartient (et que leurs parents les défendront au besoin!). Pas question de laisser des étrangers toucher à ma fille qui ne le souhaite pas. Autrement, comment espérer que plus tard (ou maintenant, sans moi) elle saura refuser les gestes qu’elle ne souhaite pas? Choisir de se faire toucher ou pas, quand et par qui, c’est la base du respect de soi.

Et surtout? Surtout, TOUT LE MONDE, peu importe le sexe ou l’âge, devrait savoir et comprendre que NON, C’EST NON. Dans cette situation, l’enfant disait non de façon non verbale. Le parent, de façon verbale. Ça fait deux fois NON. Ça fait de la personne** qui continue un agresseur (qui renverse le blâme, en plus!). Et malheureusement, ce n’est pas un problème qui disparaîtra dans les 10 ou 20 prochaines années, avec cet homme-là et sa génération (dont je connais de nombreux représentants plus décents, heureusement). Des crétins qui ne voient même pas qu’ils agissent avec sexisme, voire mysogynie, des agresseurs, des harceleurs, des bullies, il en a poussé depuis.

À go, tout le monde, on se tourne vers nos gars et on a une bonne conversation, ok? (Avec nos filles aussi, ça ne fera pas de tort.) De mon côté… désolée pour la prochaine personne dont la main s’étendra vers ma fille. Elle risque de se faire vertement rabrouer, car je serai prête.

 

*C’est pas hier. Mais j’ai eu envie d’écrire hier, comme dans l’Étranger. La semaine passée, c’est moins punché, vous trouvez pas?

**Ça aurait pu être une femme dans le cas que je raconte. Il y en a eu beaucoup qui ont touché ou voulu toucher à ma fille depuis quatre ans… mais jamais de façon si insistante que j’aie dû intervenir plus d’une fois. C’est probablement pas une coïncidence…

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