Traduction: J’ai supprimé mon compte Facebook

J’inaugure ici une nouvelle catégorie de billet, sans encore avoir prévu d’autre billet de cette même catégorie… mais on verra bien. Certains invitent des blogueurs invités… mais comme je suis traductrice et que je lis beaucoup en anglais, je me suis dit que parfois, je pourrais bien utiliser les mots d’autrui quand ceux-ci me semblent plus éloquents que les miens ou, tout simplement, fort intéressants.

J’ai demandé et obtenu la permission de traduire (eh oui, le droit de traduire est associé au droit d’auteur, il faut le savoir!) un billet du blogue Root Simple qui a été publié le 23 avril denrier, écrit par Mr. Homegrown et qui s’intitulait, dans sa version originale, I Deleted my Facebook Account. Les liens ci-dessous mènent donc vers les liens originaux, en anglais, même si j’ai ajouté quelques notes de la traductrice («Ndlt») et que les photos sont de moi.


[Traduction]

J’ai supprimé mon compte Facebook

Je ne me souviens plus où j’ai entendu ça, mais j’aime beaucoup l’interprétation du monde inversé infernal de la série Stranger Things de Netflix comme étant une représentation de l’Internet1. Comme le monde renversé de cette émission, l’Internet est récemment devenu un endroit très dystopique2. Les monstres déchaînés dans l’univers virtuel de l’Internet viennent régulièrement nous hanter dans la réalité. Ces mêmes monstres nous entraînent pendant des heures sans fin devant nos écrans d’ordinateur.

Je tiens d’abord à dire que j’étais réticent à écrire ce billet. Se trouver dans une situation où l’on peut supprimer son compte Facebook est un privilège. Bien des gens doivent utiliser Facebook au travail ou parce qu’ils appartiennent à un groupe qui se sert de Facebook pour communiquer. Ironiquement, il est plus probable pour les plus démunis de notre culture d’être enchaînés à des services comme Facebook ou d’exécuter les ordres d’un ordinateur (pensez à Uber ou à TaskRabbit). Mais encore plus nombreux sont ceux d’entre nous, comme moi, qui ont cru que nous devions utiliser Facebook (dans mon cas, pour faire la promotion de livres et d’un blogue) et qui, en réalité, pourraient très bien s’en passer.

Le cœur du problème

Mes problèmes avec Facebook ont commencé bien avant les scandales récents. J’ai passé la période du carême non pas à abandonner les médias sociaux, mais à méditer sur la relation que j’entretiens avec eux. Je me suis servi de cette période pour remettre en question mes motivations. Lorsque j’ai eu envie de publier quelque chose sur les médias sociaux, je me suis d’abord demandé pourquoi je voulais le faire. J’ai aussi lu des livres et des articles, et écouté des baladodiffusions par des théoriciens des médias qui exploraient la mécanique des médias sociaux. J’ai fini par en venir à la conclusion que les problèmes des médias sociaux quant à la vie privée sont mineurs comparativement à leurs problèmes spirituels et psychologiques.

Il me semble que le principal problème systémique de Facebook et des autres plateformes de médias sociaux est qu’ils possèdent les vices interreliés de l’individualisme et du narcissisme, et en ont fait un modèle d’affaires. Vous publiez quelque chose et vous voulez immédiatement aller vérifier si vous avez été «aimé» ou si un commentaire a été ajouté. Les experts en technologie de la Silicon Valley ont compris que si on exploite ce narcissisme qui crée une dépendance, on peut, comme avantage supplémentaire, récolter beaucoup de données à vendre aux annonceurs.

Vous pourriez accuser ce blogue d’avoir le même problème de narcissisme et, dans mes pires billets, vous auriez probablement raison. Mais il existe des différences importantes. Je ne récolte pas vos données personnelles lorsque vous lisez un billet ou publiez un commentaire sur ce blogue. J’essaie de fournir des renseignements utiles plutôt que de simplement chercher de l’approbation pour mon plus récent projet insensé3 (même si, je l’admets, je ne réussis pas toujours).

Facebook prétend ne pas s’appuyer sur l’individualisme, mais plutôt nous rassembler. Mark Zuckerberg, dans son témoignage récent à un groupe de sénateurs4 ignorants et déconnectés, ne cessait de répéter que Facebook vise à créer une collectivité (et je crois qu’il le pense vraiment). Mais Facebook fait précisément le contraire. Il berce l’illusion de la collectivité tout en favorisant, dans les faits, de nombreuses heures passées seul devant un ordinateur. Depuis que j’ai supprimé mon compte, je me suis retrouvé à organiser des rencontres en personne avec des gens qui je ne vois pas très souvent plutôt que de regarder simplement leurs publications sur Facebook.

Je crois cependant qu’on aurait tort de blâmer Facebook de nous séparer les uns des autres. Facebook, comme l’écrit Patrick Deneen, « provoque l’isolement à partir d’un ensemble d’engagements philosophiques, politiques et même théologiques plus profonds », nommément le culte consumériste « faites-le à votre façon » individuel qui domine à la fois les idéologies de la droite et de la gauche dans ce pays. La raison pour laquelle ces sénateurs ignorants ont été incapables d’atteindre le fond du problème avec Facebook est qu’ils ne sont même pas conscients de leurs propres présuppositions philosophiques partagées au sujet de l’individualisme.

Je pourrais continuer longtemps. Même si vous adhérez à une vision du monde radicalement individualiste, le caractère pervers du modèle d’affaires de Facebook devrait vous effrayer. J’ai commencé à lire le livre Terms of Service: Social Media and the Price of Constant Connection de Jacob Silverman. Ces 429 pages donnent à réfléchir en offrant une liste cauchemardesque des nombreux vices des médias sociaux. Il y a aussi Jeremy Ashkenas qui, dans une série de gazouillis, a exposé certains brevets de Facebook. Comme d’autres l’ont fait remarquer, ces brevets se lisent comme des résumés d’épisodes de Black Mirror. Si cela ne suffit pas, il y a la tentative de Facebook d’exploiter les adolescents dépressifs pour augmenter ses revenus publicitaires.

Ironiquement, une bonne partie des atteintes à la vie privée par Facebook est probablement inutile. Quand j’ai téléchargé mes données avant de cliquer sur le bouton pour supprimer mon compte, j’ai trouvé une bonne quantité de renseignements bien ciblés. Facebook sait que je suis un escrimeur qui possède une ferme urbaine, lit Rowan Williams et assiste à des concerts de Nick Cave (merde, j’ai l’air prétentieux!). Mais Facebook semble aussi croire que je suis un Afro-américain qui se sert de la culture hydroponique, aime la musique de Queens of the Stone Age et l’entreprise HoneyBaked Ham. Je soupçonne qu’une bonne partie des données recueillies par Cambridge Analytica était également aussi mal ciblée et inutile.


Comment #EffacerFacebook

Comme bien des gens l’ont fait remarquer, si quelque chose en ligne est gratuit, c’est que vous n’êtes pas le client, mais bien le produit. La solution est pourtant simple. Vous devriez réfléchir à payer pour obtenir accès à de l’information de qualité sur Internet. J’ai passé la dernière année à faire une étude intensive et autonome de la menuiserie. À ces fins, j’ai un abonnement en ligne à Fine Woodworking. Ce site comprend une compilation encyclopédique d’articles et de vidéos didactiques qui sont tous approuvés par un animal en voie de disparition : un directeur de contenu. Je me suis aussi abonné à la version en ligne du magazine The Idler (qui plaira aux lecteurs de ce blogue). Et je soutiens ma baladodiffusion favorite, C-Realm, ainsi que mon producteur YouTube préféré, Garden Fork, par l’entremise d’abonnements sur Patreon. Aucun de ces sites et balados ne cause de la dépendance. Ils ne collectent pas vos données. Ils fournissent des renseignements utiles et stimulants, et sont à la hauteur de la promesse d’origine de l’Internet comme endroit où diffuser de l’information et apprendre. Je dois aussi remercier les abonnés de Root Simple sur Patreon ainsi que ceux d’entre vous qui ont acheté nos livres ou ont assisté à l’un de nos ateliers.

Si vous en venez à la même conclusion que moi, voici des instructions pour effacer votre compte Facebook. Ça n’a pas été si difficile, mais il faut d’abord examiner les sites ou les applications pour lesquels vous pouvez avoir utilisé vos coordonnées Facebook et y modifier les données de vos comptes. Vous pouvez aussi télécharger une copie de toutes vos images et publications Facebook, ce qui vous montrera une partie des renseignements que Facebook a recueillis sur vous, mais pas tous5.

Facebook ne vous laisse pas partir facilement. Si vous ouvrez une session sur Facebook dans les quelques semaines qui suivent la suppression de votre compte, Facebook vous réinscrit. Quand j’ai voulu effacer mon compte Instagram, j’ai découvert que je devais ouvrir une session Facebook pour le faire, et que cela me réinscrirait sur Facebook. Si vous ne souhaitez pas supprimer votre compte Facebook, vous avez l’option de le désactiver temporairement pour voir comment cela se passe.

Je ne m’ennuie pas du tout de Facebook. Pour la promotion des livres et du blogue, je planifie démarrer une infolettre sporadique à laquelle vous pourrez vous abonner, qui énumérera aussi nos événements et des trucs hors sujets que je crois que vous trouverez intéressants. Restez à l’écoute. Ensemble, nous pouvons refermer le portail interdimensionnel de Mark Zuckerberg.


  1. Ndlt : peut-être cet article paru sur Salon.com? We’re all living in the “Upside Down”: “Stranger Things” is a show about the internet’s dark sides.
  2. Ndlt : Selon le GDT, «se déroulant dans un univers déshumanisé et totalitaire, organisé de telle façon qu’il empêche ses habitants d’accéder au bonheur ou à la liberté.»
  3. Ndlt : Homesteading project… La notion de homestead est difficile à rendre en français (et je ne suis pas terminologue, mais la chose m’intéresse!). Elle fait référence, dans ce contexte, aux colons (pensez conquête de l’Ouest américain, Petite maison dans la prairie, retour à la terre etc.) qui partaient de pas grand-chose et devaient subvenir à tous leurs besoins ou presque sur une terre qui leur appartenaient ou qu’ils devaient gagner, mais plus récemment les termes font plutôt référence à des gens qui (parfois même en pleine ville) visent le « fait soi-même » (DIY) responsable, l’autosuffisance, souvent avec un potager (ou plus : verger, etc.), des animaux, dans un objectif de résilience, d’écoresponsabilité, d’autonomie… Bref, oui, je m’inscris quelque part dans ce mouvement (fort populaire : suffit de penser aux poules que tout le monde veut même en ville!), mais ses contours restent rarement définis en français!
  4. Ndlt : On parle ici du Sénat américain.
  5. Ndlt : On n’a pas accès, par exemple, aux renseignements recueillis par Facebook sur notre historique de navigation, sur les applis visitées et notre utilisation de ces applis, etc. Voir : What’s Not Included in Facebook’s ‘Download Your Data’.
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3 réponses à Traduction: J’ai supprimé mon compte Facebook

  1. Clément Laberge dit :

    Merci beaucoup Hélène. Très intéressant — et je n’hésiterai pas à le partager.

    • Campagnarde dit :

      Merci! J’ai eu du plaisir à traduire ce texte et j’en cherche d’autres pour faire la même chose! (Enfin, disons que j’ouvre l’oeil!)

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