Peur bleue (enfin, plutôt noire)

Dimanche passé. L’Homme s’en va travailler dans le bois. Je saute dans l’autre voiture avec Tango, et je le suis, car je m’en vais sur le même terrain, question de promener le chien en liberté et en forêt. Sauf que moi, je m’arrête plus d’une heure jaser avec une amie entre temps. Ce qui fait que j’arrive dans le bois avec un chien qui n’en peut plus d’être patient, qui croit avec raison que ça va faire, qu’il est grand temps de faire la promenade, d’avoir sa demi-pomme, de nager un peu et d’aller déjeuner. Je suis d’accord (lire: je me sens coupable), et après avoir dit coucou à l’Homme, le chien et moi partons à la course dans le sentier (honnêtement je n’ai pas couru pour le plaisir de courir entre mon enfance et mon adoption de Tango, et ça fait du bien!). Mais bon, je ne suis pas en super forme, et je marche peu après. Tango, queue battante, renifle et est généralement heureux d’être en vie et dans la nature, plusieurs mètres devant moi. Plusieurs.

J’ai stationné la voiture entre deux lacs (privés, sur un terrain tout aussi privé), et nous marchons sur le sentier autour du grand lac, car c’est à son autre extrémité que la pomme est donnée et que nous revenons habituellement sur nos pas pour aller dans le petit lac où Tango se jette avec joie avant de travailler, c’est à dire de rapporter son jouet pour l’eau maintes et maintes fois, en courant comme un fou et en se roulant dans le sable entre les jets de jouet. Tango, loin devant sur le sentier, donc, approche d’un tournant, qui nous mènera vers la mi-promenade (et la pomme, ne l’oublions pas, car lui ne l’oubliera pas). Soudain, je vois un autre animal noir. Ma première pensée: tiens, un autre labrador noir (j’en ai un sous les yeux, je ne cherche pas plus loin). Mais… si la chose est très noire, elle est aussi plus trapue, plus courte sur ses pattes balourdes. Le petit être file du sentier à la forêt. Un ourson. Un OURSON! Et mon Tango tout heureux de sauter dans les herbes hautes à la poursuite de son nouvel ami.

Mes pieds refusent d’avancer. Ma voix s’éraille, tandis que je crie ICI TANGO ICI MAINTENANT AU PIED ICI (enfin que sais-je encore, mais mon ton disait clairement l’urgence de la chose, et sa réaction disait tout aussi clairement qu’il était déchiré entre son désir de m’obéir et son instinct de poursuite). Je scrute le sentier de tous côtés. Un ourson, ça veut dire une ourse. Une ourse dont on vient de déranger le petit. Un très petit, certainement né au printemps, pas l’année d’avant. (Oui bon un petit qui doit peser autant que mon chien sinon plus, mais quand même du point de vue de la mère, un tout petit être…). Enfin, Tango galope vers moi. J’ai déjà un quartier de pomme dans la main. Je lui donne en marchant. Vite, très vite. En me retournant souvent, même s’il est peu probable que l’ourse, son petit en sécurité, nous pourchasse. (Un petit risque, avec un ours, c’est quand même trop de risque pour moi!) Au petit lac, je lance son jouet dans l’eau. Retour à la normale (progressif, pour mon rhythme cardiaque) car nous somms tout près des hommes qui travaillent et de leur bruit anti-ours, baignade, retour à la maison. Ouf. Son premier ourson.

Deux jours plus tard, Tango et l’Homme marchent tout près d’ici (en fait, ils visitent la ferme où j’ai été gardée, et m’annoncent au retour la naissance du premier poupon qui formera la troisième génération de cette famille que je vois vivre dans cette maison!). Les fermiers l’avertissent de faire attention, car un voisin a vu quatre oursons et une ourse (il y en avait probablement une autre pas loin) et a dû tirer en l’air pour les éloigner. Il poursuit la promenade du chien. Pas une mais deux fois, un automobiliste s’arrête à ses côtés pour lui dire de… faire attention à cause des ours!

Il y a toujours eu des ours ici, je le savais petite et j’en ai vu un de loin, en plus d’entendre les gens parler de leur présence (on n’en parle que lorsqu’elle est problématique pour les humains, alors que la majeure partie du temps nous cohabitons avec eux sans y penser). J’ai pratiquement toujours su que les ours courent plus vite que moi, grimpent mieux aux arbres que moi et nagent mieux que moi. Par contre, j’ai toujours su également que les ours préfèrent nous éviter et se poussent dès qu’ils nous sentent ou nous entendent… Or, qu’est-ce que je lis ce matin? Qu’une femme a été attaquée à La Tuque. Bon, La Tuque n’est pas à un jet de pierre, mais c’est quand même en Mauricie, dans ma région. Pour me rassurer, je viens de consulter ce site de Ressources naturelles et faune Québec: Connaître l’ours noir. Quant à nous, pour les prochaines promenades en forêt, monsieur Tango aura au collier une clochette. Malheureusement, ce que je lis à ce sujet me dit que ce ne sera pas suffisant. Alors la campagnarde sortira de sa besace tous les classiques de Brel et Brassens qu’elle connaît par coeur et, mes excuses aux pauvres gens qui travaillent sur leur terre et pourront l’entendre, elle chantera à tue-tête. Ohé les ours, poussez-vous, la folle arrive avec son chien!

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Le chien qui a vu l’ours (photo par l’Homme).

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15 réponses à Peur bleue (enfin, plutôt noire)

  1. Jean-Philippe Gariépy dit :

    Les ours ont peur des chiens aussi.

    Il serait préférable de le garder en laisse pour pouvoir le ramener vers toi si tu vois un ours au loin. Mais c’est l’éternel dilemme sécurité ou liberté.

    • vieux bandit dit :

      Oui mais justement, un ours qui a peur, ça n’a pas trop tendance à se cacher sous le lit! Surtout si ça a peur pour son petit…

      Pour la laisse, oui… (mais sa laisse est relativement courte, et justement l’idée de la promenade c’est qu’il puisse pendant un certain temps « migrer » avec nous librement). Pour le moment, je le garde simplement plus près de moi, même en liberté. Ça n’a pas l’air de l’embêter. Et quand je retournerai dans ce bois-là, je ne le ferai pas seule. Suffit de faire assez de bruit (mais le pauvre Tango, quand je me mets à dire des niaiseries ou à chanter, me regarde tout confus. Il cherche à comprendre ce que j’attends de lui!). Dans le champ matinal, bordé d’un sous-bois avec falaise, je marche « fort », et sur la route qui y mène, je laisse rouler les cailloux, alors que d’habitude j’aime bien ne pas faire plus de bruit que nécessaire.

      Tout de même, j’ai bien hâte qu’ils hibernent, nos ursidés! Et sans vouloir traumatiser les pro-été, une petite couche de neige, ça aide à voir les pistes!

      • Jean-Philippe Gariépy dit :

        > Oui mais justement, un ours qui a peur, ça n’a pas trop
        > tendance à se cacher sous le lit! Surtout si ça a peur
        > pour son petit…

        Normalement, c’est à dire dans un contexte où l’ours n’est pas habitué à la présence de l’humain, l’ours va te fuir s’il te sens ou t’entends au loin. S’il a peur pour lui, il va se sauver. Il n’est généralement pas agressif (comparons les mort par l’ours vs par l’homme). Mais il est préférable de ne pas marcher contre le vent car il ne sera pas averti olfactivement de ta présence ou de celle de ton chien.

        Je crois que la pire chose est que l’ours devienne accoutumé à la présence humaine. Il faut donc proscrire de nourrir les ours et ce directement ou indirectement. Range tes vidanges et transporte pas de nourriture avec toi.

        Avec l’ours brun dans l’ouest, c’est problématique. J’ai déjà vu un reportage là-dessus. On y voyait un ours casser une vitre de voiture pour aller chercher de la nourriture.

        Mon père aussi a des ours qui viennent chez lui. Presque dans sa maison, même. Lui-aussi a un Labrador noir. Elle s’appelle Bourgogne.

        Choix de chansons pour faire fuir les ours:
        « Hey Jude »
        « Les poissons gigotent, les poissons barbottent »
        « Moi j’connais une chanson pour écoeurer le monde. »
        « Ah! Qu’il sont beaux les moineaux »
        Linda Lemay (tout son répertoire, fonctionne aussi pour faire fuir plusieurs humains)
        « Oui, j’ai la joie du Seigneur là dans mon coeur »

        • vieux bandit dit :

          Je crois que j’ai vu le même reportage que toi! À Yellowstone ou je sais plus, mais vraiment impressionnant, l’ours qui entre dans l’auto!

          Oui tiens je lisais ça partout, ne pas nourrir les ours. Euh? C’est pas des chevreuils cute, ça là, là! (et encore les chevreuils, c’est polémique… disons des colibris!) C’est pas des colibris, ça là là! Il ne me serait JAMAIS venu à l’idée de les nourrir! Comme bouffe, je ne transporte qu’une demi-pomme ziploquée (oui monsieur), et seulement pour la première moitiés de la promenade. Pour les poubelles, y a pas de problème: avec le compost, le recyclage et la réutilisation, nous ne remplissons même pas un sac chaque semaine, alors je le mets religieusement au bord du chemin dans une grosse poubelle solide et difficile à ouvrir pour un humain et qui pue encore d’un nettoyage chimique il y a plusieurs années, qui doit encore couvrir l’odeur poubellique (les éboueurs doivent nous aimer…). Ah oui, et avant de mettre le tout près de la route, j’ajoute sur le dessus la collection hebdomadaire de sacs-à-caca pleins du chien, alors…!

          Le vent, bon point. M’en va faire de mon best.

          Hey Jude? J’ai-tu l’air d’aime Evil McCartney? Linda Lemay? Encore faudrait-il que j’en connaisse une… Mais la joie du seigneur, ah, comment résister?!

  2. Y’a un ton de sarcasme dans ton ironie, mais j’ai rien contre un petit bol d’auto dérision.

    Je suis du genre d’ours qui ne comprends rien au chiens.

    • vieux bandit dit :

      Mais je suis sérieuse! Je suis en plein le genre à fouiller partout pour trouver le pot de confiture aux fraises pendant 45 minutes (j’ai une tête de cochon), pour enfin me décourager, me plaindre à l’Homme, qui, lui, ouvrira le frigo et verra le pot drette devant son nez! Je suis une personne de détails, moi! Les arbres pour la forêt? Oubliez ça! Ce serait plutôt la dentelure des feuilles au lieu de la forêt!

      Tiens, ce soir, promenade dans la forêt privée d’amis. Je parle, je parle (pas que je sois bavarde, non, c’est pour éloigner les ours… faudra que je trouve une autre excellente raison pour l’hiver…) et tout à coup, alors que je le longeais depuis une bonne minute, enfin je vois le méga trou, là où les arbres ont été abattus pour la maison qui sera bâtie (et le garage, et le passage de la machinerie… un gros trou!). Et encore, c’est parce que j’arrivais au bout d’une histoire, parce qu’avoir été au beau milieu, jamais je n’aurais remarqué quoi que ce soit!

  3. Ping :Clintonie boréale | Les campagnonades

  4. Mijo dit :

    Oh la frousse !!!
    Pas d’ours chez moi mais dans certaines zones des vipères et ça me fout la trousse. (Bien que ce soit très rare que j’aie à passer parmi les vipères).
    Je souris en t’imaginant chanter à tue-tête pour annoncer aux ours que l’homme est dans le coin et qu’il est temps de déguerpir pour eux car je fais la même chose avec les vipères.

    Alors quand je dois passer à travers des herbes hautes, je frappe très fort le sol. Les vipères sont sourdes et sont sensibles au tremblement du sol. Pour m’aider à frapper plus fort, je hurle un passage de Carmen :
    « L’amour est enfant de Bohême,
    Il n’a jamais, jamais connu de loi,
    Si tu ne m’aimes pas, je t’aime,
    Mais je t’aime, prends garde à toi!  » !!!! Et on ne rigole pas siou plaît…

    • vieux bandit dit :

      Euh… alors on se retient très fort pour ne pas rigoler! 🙂

      Je viens d’arriver ici… et j’espère qu’aucun humain ne m’a entendue l’automne dernier!