L’école sans l’école

Ce billet est le premier d’une nouvelle série pour le vendredi sur les Campagnonades. J’y parlerai de notre réalité de l’apprentissage hors des murs de l’école.

École-maison, école à domicile, enseignement à domicile, apprentissage en famille, appelez ça comme vous voulez, c’est notre réalité, et je vais en parler un peu le vendredi (si vous avez des questions, super, ça me donnera des pistes pour des billets à venir.

J’imagine que la première question que les gens se posent, c’est… pourquoi. Pourquoi faire l’école à la maison alors que l’école existe, est accessible et gratuite (et souvent pas si mal du tout)? Les réponses sont aussi variées que les familles qui font ce choix, alors je ne vais parler que de nous. Voici quelques-unes de nos raisons/motivations, sans prétention d’exhaustivité.

Il y a la réponse que je donne pour que mon interlocuteur soit d’accord avec moi et qu’on pass eà autre chose (c’est une stratégie, et elle m’évite de me lancer dans de longues explications avec de purs inconnus!): ici, l’autobus scolaire passe vers 6h35 chaque matin. Envoyer un enfant à l’école, dans ma réalité rurale, voudrait dire être au bord d’une route provinciale (en pleine courbe) vers 6h25 chaque matin. Ce qui voudrait dire avoir levé ma fille bien avant 6h. Or je ne l’ai pratiquement jamais forcée à se lever, et son heure d’éveil sans réveil tourne plutôt autour de 8h depuis sa naissance. Juste avec cet horaire de bus, notre vie deviendrait un enfer, c’est facile à comprendre: ma fille a besoin de presque 12 heures de sommeil, ce qui me forcerait à la coucher vers 17h45, soit environ trois heures après son retour (trois heures de fatigue-collation-devoirs-bain-histoire-dodo bien régimentées, sinon tout n’y entrera pas; oublions le jeu, on n’a pas le temps. Lire? ha!), alors qu’il fait encore clair sauf au plus creux de l’hiver. C’est une partie de notre motivation (si vous trouvez que j’exagère, je vous invite à essayer de démêler la tignasse de ma fille demain vers 5h45; assurez-vous que votre assurance bien couvre tout, tout, tout!).

Nous, les parents, avons aussi des raisons liées à nos expériences scolaires personnelles, qui ont été différentes. J’étais première de classe et souvent sous-stimulée; lui était plus axé sur l’aspect social et pouvait aller d’un groupe à l’autre sans difficulté. Il se faisait dire qu’il pouvait faire mieux. Je m’emmerdais en me sentant jugée et rejetée (ce n’était ni totalement faux ni totalement vrai, j’imagine). Rien de terrible, pas de traumatisme précis, mais des insatisfactions, des malaises, des perceptions que les choses pouvaient ou devaient être différentes.

Mais ce qui nous a menés à penser à l’école à la maison pour nos enfants, vraiment? L’expérience scolaire du plus vieux chez nous. Et ce que cette expérience nous a fait vivre comme parents (être belle-mère, c’est être un parent. Point). Il y a plus de 16 ans, le Grand Coco entrait en maternelle. C’était un petit gars actif, très sociable, drôle, impulsif, rebondissant, bilingue, affectueux et parfois colérique. L’école, ça n’a pas été facile. Nous faisions ce que tout le monde fait (nous le croyions): deux emplois, un logement, le service de garde matin, midi et soir, les devoirs, le souper, la course cinq jours par semaine et on recommence. Je courais. J’avais 30 minutes pour me rendre du bureau au service de garde avant la fermeture. J’arrivais essoufflée, pour souvent me faire raconter des comportements horribles qui ne ressemblaient pas à mon gars (oui mais quand on place un humain dans un environnement qui n’est pas le sien et où il ne peut décider de rien de 7h à 18h cinq jours par semaine, c’est possible qu’il en ait tout simplement sa claque, n’est-ce pas… ça lui faisait des semaines de 55 heures, sans compter les devoirs). On retournait à la maison (où il était hors de question de le punir une deuxième fois pour un même crime commis en notre absence!), je faisais à souper et je luttais (souvent en même temps) avec lui pour qu’on passe à travers les devoirs (juste après la réforme; imaginez-moi un peu en train de fulminer devant un mot de qualité!). Souper, bain, histoire, dodo… et demain dès 6h on recommence. Allez, déjeune, on est pressés…

Le jour où la vie a fait que j’ai vu et saisi une occasion de travailler à partir de la maison, notre vie familiale a changé. Le petit gars tanant, violent, chialeux a disparu, remplacé par un enfant qui dormait mieux, qui pouvait respirer un peu en revenant diner, et qui avait le temps de jouer avec des copains choisis chaque après-midi. Ça n’a pas tout réglé à l’école, bien sûr. Et il a continué à exprimer un souhait, le même depuis sa première année, qu’un de nous puisse être là, chaque jour, en classe, à ses côtés. Il disait ça calmement. Il avait une solution à ce qui fonctionnait mal, lui… On lui disait que ce n’était pas possible (imaginez la scène d’une classe pleine de parents-hélicoptères!). Mais il exprimait quand même quelque chose d’authentique.


Tout ça vous explique un peu comment nous en sommes venus (en voyant d’autres familles le faire, aussi!) à nous demander si on ne pouvait pas faire autrement. Si nous ne pouvions pas réorganiser nos vies pour passer beaucoup, beaucoup plus de temps avec nos enfants. Nous avons vécu la course des parents d’écoliers qui ont chacun un emploi à temps plein en dehors du foyer, qui courent d’un cours à l’autre et sentent parfois qu’ils ne sont que les gardiens d’un horaire qui leur échappe. Nous voulions vraiment faire autrement. Et une fois à la campagne, les occasions d’apprentissage nous ont éblouis par leur nombre (aller se promener, c’est identifier des pistes, des plantes, des arbres, parler de nuages et de saisons…). Ce n’est pas contre l’école que nous faisons le choix de l’apprentissage en famille. Ce n’est pas parce que nous pensons faire mieux dans l’absolu: il suffit que ce soit mieux pour nous, notre famille, nos enfants (d’ailleurs nos enfants passent un temps fou ensemble, et c’est une partie de nos raisons aussi). Oui, ça nous permet de toucher à d’autres matières, mais le plus important c’est la certitude de ne rien échapper: si ma puce n’a pas compris une notion, demain je le verrai, et on pourra jeter un autre éclairage sur elle (la notion, hein, pas ma fille!). Ça permet aussi de personnaliser (par là je veux dire étendre en possibilités, et non limiter) l’apprentissage selon nos réalités; le bilinguisme en est une, et j’y reviendrai.

C’est sûr que c’est un plaisir, d’apprendre avec ma fille et de lui inculquer des notions. Mais ce plaisir n’était pas une de nos motivations initiales. Vous savez quoi? Ça aurait dû en être une! Voir ma fille apprendre à lire, ça a été extraordinaire. Mais je dirais qu’il est plus extraordinaire encore de la voir lire seule, en toute liberté, à toute heure du jour ou de la soirée. (Ah, la lecture! Ce devra faire l’objet d’un autre billet!) Le plaisir de l’école-maison est réel (mais pas constant à chaque instant, on s’entend…!).

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