Les mots, ça compte

Tant mieux si on veut vraiment lutter contre les réalités de l’itinérance! Mais je remarque que le ministre par des itinérants, alors que les organismes qui sont sur le terrain, qui connaissent les réalités et qui connaissent véritablement les gens aux prises avec l’itinérance, eux, parlent de personnes en situation d’itinérance. (Pour tout vous dire, il m’arrive souvent de traduire des textes sur le sujet.)

La différence est immense! On dépasse la langue de bois: si vous n’avez pas de logement, être mis dans une case (celle de l’itinérant, avec tout ce que ça entraîne dans son sillage comme appellation) ou être considéré comme une personne (qui oui, vit une situation x), ça n’est pas la même chose du tout. Quand on est déjà marginalisé, être vu, traité, considéré comme une personne, ça compte (au lieu de se faire réduire à un seul aspect de sa vie actuelle). Quand on parle de l’itinérance et qu’on pense d’abord à des personnes, on fait déjà un premier pas pour lâcher le mépris et les préjugés.

Pour venir appuyer des personnes qui ont besoin de ressources, de répit, de soins (les besoins sont variés), il faut d’abord comprendre qu’il s’agit… de personnes.

[J’avais été sensibilisée à ce genre de vocabulaire qui semble ordinaire, mais qui est porteur de jugement en lisant, il y a quelques années, un article qui m’a fait instantanément cesser d’utiliser le terme «junkie». Parler d’une personne aux prises avec une dépendance ou qui a fait un choix de vie (utiliser des drogues intraveineuses peut être un choix de vie; faut lâcher les images à la Christiane F. un peu!) en la réduisant à cette seule réalité, c’est réducteur et méprisant; classiste, aussi.]

Une déviation qui vaut le détour

Imaginez le panneau orange qui vous indique que pour atteindre votre destination en voiture, il vous faudra faire… un détour? C’est bien ce qu’on lit au Québec: détour. Or il faudrait plutôt parler de déviation.

Je cite le blogue Linguistiquement correct, qui cite M. Robert Auclair, qui cite Robert Dubuc:

Qu’est-ce qu’un détour en français? D’après les dictionnaires, c’est un parcours qui s’écarte du chemin direct pour diverses raisons. On fait un détour pour visiter des parents ou pour apprécier les beautés d’un site ou d’un paysage. Le mot détour désigne encore les sinuosités naturelles d’un cours d’eau ou d’une route. Ex. : La rivière fait de nombreux détours.

Déclaration… de quoi, au juste ?

Je ne sais pas si les non-langagiers comprennent à quel point il est terrible que l’Office québécois de la langue française ne fasse plus son travail, n’offre plus aux langagiers (et aux Québécois en général!) un service valable, que son Grand dictionnaire terminologique ne puisse plus servir d’outil de référence. Pour moi, c’est épouvantable. J’ai perdu un outil crucial. Je ne peux plus m’en servir comme d’une bible, il ne peut plus me servir à justifier mes choix linguistiques. L’exemple le plus récent (et il est éloquent!) que j’en ai : la déclaration… d’impôts (sic!). Je cite Linguistiquement correct :

Comme plus rien ne m’étonne en ce qui concerne le GDT, c’est sans surprise que j’ai découvert que déclaration d’impôts fait partie des « termes privilégiés » par l’OQLF. C’est un exemple de plus du virage lexicographique du GDT aux dépens d’une orientation proprement terminologique : c’est ce qui a été dénoncé par d’anciens terminologues de l’OQLF dans le manifeste Au-delà des mots, les termes. Le GDT enregistre un usage critiqué même si, dans ce cas-ci, il va à l’encontre des pratiques administratives et du terme utilisé dans la loi.

[…]

Un autre membre de l’Asulf, M. André Breton, m’a transmis la fiche de la banque Termium (Bureau de la traduction, Ottawa) qui, ce n’est pas la première fois, contredit la position de l’OQLF : « déclaration d’impôt sur le revenu; déclaration d’impôt : ces termes ne doivent plus être utilisés ». On ajoute que l’Agence du revenu du Canada a uniformisé le terme déclaration de revenus.

Qu’on dise entre nous faire ses impôts, ça ne m’inquiète pas. Mais quand on l’écrit, quand on en parle de façon officielle… il faut avoir un outil auquel se fier, pour faire le bon choix terminologique! Un outil québécois pour une réalité québécoise! Heureusement que Termium est là. Mais quand même…!

Confortable… ou à l’aise?

Êtes-vous confortable dans votre fauteuil confortable? En anglais, you may be comfortable in your comfortable chair, mais en français, non: vous y êtes à bien, à l’aise, et il n’y a que le fauteuil (l’objet) qui puisse être confortable (et jamais la personne… à moins que vous vous asseyiez dessus et que vous la trouviez telle!).

Quant à être confortable avec une idée, n’y pensez pas! Le Multidictionnaire nous le dit bien:

Calque de « to be comfortable about » pour être à l’aise au sujet de, n’éprouver aucun embarras à l’égard de, être d’accord au sujet de, ne pas voir de problème, d’inconvénient, ne pas s’inquiéter au sujet de.

Huile à chauffage et mazout

À force de traduction et de vie bilingue, je deviens parfois embrouillée. Notre chauffage principal, ici, est au mazout. Or quand je demande à mon fournisseur, en remplissant son formulaire en ligne, qu’on vienne remplir mon réservoir, je dois cocher «huile à chauffage» (pour remplir la chaudière [appareil qui fournit de l’énergie thermique], et non la fournaise [grand four où brûle un feu ardent]). Un jour, le doute s’est emparé de moi. Huile à chauffage? Mazout? Mon instinct de langagière me disait bien que l’un des deux était erroné. Lequel était l’anglicisme? Huile à chauffage, pour heating oil, ou mazout pour… et là j’ai ri. Parce que mazout ne peut certainement pas venir du mot qui m’est venu en tête, le très rigolo et inexistant mazoot!

 

 

Loi et législation

Saviez-vous que la législation est l’ensemble des lois d’un territoire? En anglais on parle parfois de piece of legislation, ce qui devient mesures législatives, et non loi. Attention, donc, car si le législateur adopte souvent de nouvelles lois, on ne remplace pas l’ensemble des lois tout à la fois. Pas de nouvelle législation, donc.

Un conseil (plus) inclusif pour vos formulaires

Vous concevez un formulaire que des gens du Québec devront remplir (et non compléter, car votre formulaire sera complet!) et qui comprendra leur adresse? Au lieu d’opter pour le mot «ville», pourquoi ne pas choisir d’utiliser plutôt «municipalité»? Ce dernier terme a l’avantage de concerner (presque) tout le monde, et pas seulement les citadins. On compte 1131 municipalités locales au Québec, dont seulement 230 sont régies par la Loi sur les cités et villes (on trouve au Québec, techniquement, 649 municipalités, 227 villes, 145 paroisses, 43 villages, 42 cantons, 2 cantons unis). Le problème avec mon conseil ici? On continue d’exclure des gens (14 villages nordiques, des villages cris, le village naskapi…) :

[…] certaines entités, comme les réserves indiennes, les établissements indiens, les territoires cris, le territoire naskapi et les terres réservées inuites, ne possèdent pas le statut de municipalité. De plus, toute partie du territoire du Québec qui n’est pas celui d’une municipalité locale est un territoire non organisé (TNO). (Source : L’organisation municipale au Québec en 2018)
Qui dit mieux que municipalité (qui est mieux que ville malgré tout), alors?

Fossé et fausset

C’est probablement une particularité régionale de mon coin, mais on entend souvent parler de ces fosses, le long des routes de notre belle campagne… comme étant des faussets (ou enfin, comme je le vois en esprit quand j’entends ça, fossès). C’est au point que j’ai dû vérifier ma perception dans le Multidictionnaire (pour confirmer que j’avais raison de parler plutôt de fossés, oui).

Fossé : Fosse creusée en longueur pour faire écouler les eaux*. Ne roule pas si près du fossé, tu vas y tomber**

Fausset : Voix de fausset. Voix nasillarde. Cet humoriste à la voix de fausset a eu du succès. => Le mot ne s’emploie que dans cette locution.

Dans mon coin, il y a aussi les fosses septiques et les fausses fosses septiques au sujet desquelles il vaut mieux rester sceptique, mais ça, c’est une autre histoire.

 

*Ou pas : quand ils sont bien bloqués, ils servent surtout à l’élevage massif de moustiques. C’est du moins mon observation pittoresque.

**Tiens, on dirait que les auteurs du Multidicitonnaire avaient un micro dans ma voiture l’hiver où le jeune homme de la famille a appris à conduire! Ha!